anévrisme de l’aorte abdominale rompu: Prise en charge Anesthésique

par | Juin 16, 2021 | Anesthésie pratique | 0 commentaires

Validation par le service: Oui
Nb: Ces fiches pratiques sont établies a visée didactique, de ce fait, elles ne bénéficient pas de validation qualité et peuvent présenter des erreures.
Responsable validation: Nicolas Courtin
Historique des mises à jour:

-Janvier 2021 : présentation initiale au C.H

-16/06/2021: mise en ligne.

Résumé

Proposition d'une prise en charge standardisée de l'anévrisme de l'aorte abdominale rompu ou fissuré en anesthésie.

L’anévrisme de l’aorte abdominale rompu ou fissuré est une situation urgente et délicate autant au plan anesthésique que chirurgical. Elle est grevée d’une morbi-mortalité importante (risque de décès allant jusqu’à 90% en cas de rupture) et impose un suivi post opératoire en réanimation parfois prolongé.
Cette fiche ainsi que ses annexes proposent un aide mémoire pour sa prise en charge.
La stratégie de prise en charge chirurgicale endo-vasculaire est parfois possible mais reste à haut risque de conversion par laparotomie.

Point clefs de la prise en charge de l’anévrisme de l’aorte abdominale en urgence

Matériel en salle pour l’arrivée du patient

  • Kit pression artérielle sanglante radiale gauche 4-6cm +anesthésie locale. Privilégier pose pré induction.
  • Kit cathéter veineux central jugulaire interne droit 16cm + anesthésie locale. Pose pré induction optionnelle mais pratique (cf. gestion tensionnelle).
  • Échographe pour pose cathéter.
  • Réchauffeur accélérateur.
  • Couverture chauffante.
  • Cell-Saver.
  • Monitoring spécifique: BIS, Température.
  • Table dédiée transfusion/bilans sanguins: bons de commande EFS. Bons de biologie et au moins une poche prête avec seringue bilan gazeux, tube violet, bleu et rouge. + kit détermination /RAI si non réalisé au service des urgences.
  • Médicaments d’induction: Etomidate, rocuronium puis sufentanil +/- OFA/OLA (Lidocaine 1%, MgSO4 x2 amp, Kétamine ) & antalgiques.
  • Médicaments de supports : Noradrénaline diluée pour administration VVP (10µg/mL) et KTc (1mg/mL), Adrénaline, Chlorure ou gluconate de Calcium, Acide Tranexamique, Fibrinogène, Bicarbonate.

Gestion tensionnelle

  • Pré-clampage, objectif tensionnel : PAS = 80-100 mmHg
  • Per-clampage, objectif tensionnel: PAM>80 mmHg
  • Post clampage, objectif tensionnel: PAM <80mmHg
  • Remplissage dès la phase initiale pour corriger le choc et débuter amines d’emblées si besoin (éviter les bolus)
  • Éviter les relais entre les dilutions d’amines si possible (donc KTc pré-induction si possible )
  • Si hypertension, envisager majoration des halogénés, ou traitement IVSE ou à défaut par bolus faible dose (Nicardipine/Propofol)
  • En cas de labilité tensionnelle importante, penser à un défaut de remplissage

Particularité de la prise en charge

  • Chirurgien habillé et équipé (matériel prêt) pour l’induction
  • Anticiper remplissage et transfusion agressive
  • Guider la transfusion par des bilans réguliers, ne pas oublier le pH, calcémie et la fibrinogénémie avec correction aggressive par les médicaments ad-hoc.
  • Situation d’urgence donc risque de mémorisation très important, privilégier majoration des amines plutôt que l’allègement de la sédation si HypoTension.
  • Éviter au maximum les bolus de vasopresseurs/vasolidatateurs, privilégier l’IVSE et éviter les relais de dilution.


Version longue

Conditionnement – déchoquage

Maintien d’une PAS entre 80-100 mmHg. Pas de valeur de PAM de référence : les études portent surtout sur les valeurs de PAS et c’est l’augmentation de la pression transmurale qui favorise les risques de rupture.

Optionnel mais fortement conseillé: pose d’un cathéter artériel sous AL (mais ne doit pas retarder l’incision/induction)

Préparation anticipée de la salle : plateau drogue, cell saver, réchauffeur accélérateur de perfusion, chariots de KT et échographe en salle, sonde U/thermique, BIS, TOF, table pour transfuser et matériel de transfusion prêt, etc.

Penser au tablier de plomb (si scopie en salle)

Préparer 2 dilutions de Noradrénaline (10 μg/ml et 1mg/mL à St Nazaire) + 1 seringue d’adré (1 mg/ml)

Chirurgien en salle avant l’induction et IBODE habillé(e)s

Lutter contre la triade létale : hypothermie / acidose / coagulopathie

Ne pas hésiter à faire régulièrement des bilans. Bilan suggéré : NF, Bilan gazeux (lact/pH), Calcémie, TP, Fibrinogène.

Réchauffer le patient +++ (externe et réchauffeurs accélérateurs)

Transfusion selon les objectifs transfusionnels habituels (cf. topo) avec un ratio de CGR:PFC à 1:1 (ou 2:1 selon l’intensité du choc hémorragique) et 1g de chlorure de calcium pour 4 CGR (fonction de la calcémie corrigée, objectifs Ca2+ > 0,9 mmol/L)

Penser à l’Acide Tranexamique (recommandée même s’il n’y a pas d’études spécifique)

Patient sous AAP (aspirine/plavix en mono ou bithérapie) : débuter la procédure sans neutralisation et transfusion de CP que si saignement non contrôlable et attribué au ttt AAP  (cf. guidelines GIHP 2018)

Induction : PRUDENTE

Risques d’hypoTA majeur liées aux drogues vasoplégiques et au relâchement musculaire abdominal qui ne maintien plus comprimé l’hématome (baisse des pressions intra-abdominales) avec majoration du saignement et décompensation circulatoire aigue

Séquence rapide : décision collégiale pour Etomidate + Rocuronium 1-1,2 mg/kg 

NB : éviter la Succinyl-Choline car on ne connait pas forcément la kaliémie et surtout les trémulations  peuvent majorer les risques de rupture

Pose du KT artériel en systématique (avant ou après l’induction)

Pose du KT central en systématique mais APRES l’induction

Maintien PAS 80-100 mmHg tant que l’aorte n’est pas clampée (titration prudente des vasoconstricteurs)

Monitorage par BIS car situation à haut risque de mémorisation

Clampage

Pas de bolus d’héparine en systématique du fait de la coagulopathie de consommation !

1er temps per-clampage : risque d’Hypertension immédiate

o Augmentation brutale de la post charge du VG, dont la tolérance est mauvaise si FEVG < 40-50% entrainant une dilatation du VG sans augmenter sa force Ejectionnelle

o Pas d’objectifs de PAM ou PAS définis dans la littérature, mais il est toutefois nécessaire de maintenir une PAM ≥ 80 mmHg pour préserver un degré de perfusion en aval du clamp (par l’intermédiaire des artères collatérales).

o Valeur max de la PAM aux alentours de 100 mmHg pour éviter de majorer le risque hémorragique (à confronter en per op avec les chirurgiens)

o Plus le VG est bon et plus la tolérance d’une post charge élevée est bonne

 Que faire en cas d’Hypertension?

o En 1ère intention : ne pas hésiter à majorer les halogénés (effet vasodilatateurs)

o Vérifier la curarisation/analgésie

o Eviter au maximum d’utiliser des vasodilatateurs (Nicardipine par ex) : même s’ils permettent de baisser la post charge du VG, il mais ils baissent la pression de perfusion coronarienne et diminuent le flux collatéral qui maintient une perfusion minimale en dessous du clamp (et compromet davantage la survie tissulaire). Leur utilisation est surtout indiquée en cas de défaillance prouvée du VG (intérêt de l’ETO per op). Utilisation en bolus mais prudement (ex : Nicardipine 0.25 mg) ou en IVSE

2nd temps per-clampage : baisse de la précharge avec chute de la tension artérielle

o En cas d’occlusion prolongée, le lit vasculaire ischémié (en aval du clamp) se vasodilate à cause de l’acidose, le sang y reste stocké, et le retour veineux baisse progressivement. Des transferts de volume entre compartiments vasculaires ischémiés et perfusés ont lieu. Le ventricule ne dispose plus alors de la précharge nécessaire au développement d’une force contractile adéquate.

o Un apport de volume (remplissage vasculaire) devient essentiel, quand bien même les pressions de remplissage ne sont pas basses.

o Baisse des halogénés (en se référant aux valeurs du BIS), arrêt des vasodilatateurs

o Si nécessaire, on peut utiliser des vasoconstricteurs type Noradrénaline

o A noter, les indicateurs tels que le deltaPP n’ont plus d’intérêt pdt le clampage pour guider le remplissage.

Déclampage :

Risque d’instabilité hémodynamique

o Baisse soudaine de la postcharge à l’ouverture du clamp

o Hémorragie chirurgicale par les anastomoses

o Séquestration de volume dans le lit distal vasodilaté par l’acidose

o Acidose métabolique systémique (retour veineux de sang acide depuis zones ischémiées)

o Mise en circulation de substances vaso-actives (cytokines, TNF, kinines, interleukines, thromboxane, prostaglandines, radicaux libres peroxydants, cascade du complément) qui ont un effet vasodilatateur systémique, vasoconstricteur pulmonaire et cardiodépresseur

o Endotoxines bactériennes franchissant la barrière intestinale et colique à la faveur de l’ischémie tissulaire

o Hypérémie réactive des territoires ischémiés, maximale à 15 minutes.

Risque de troubles hydroélectrolytiques

o Acidose métabolique avec augmentation brutale de la PetCO2

o Hyperkaliémie et risque de trouble du rythme cardiaque per op

Que faire avant et après le déclampage ?

o ANTICIPER : expansion volémique par remplissage vasculaire ++ AVANT le déclampage.

L’utilisation des cristalloïdes versus colloïdes n’a pas été prouvée dans la littérature.

o Utiliser les vasopresseurs (Noradrénaline) en association au moment du déclampage en cas d’hypotension persistante